ESPERANDIEU Jacques Henri


  1.  Une jeunesse studieuse

  2.  La construction de la Major 1857

  3.  Le Palais Longchamp 1862 1869

  4.  La Basilique Notre Dame de la Garde 1864

  5.  Espérandieu Metteur en scène 1867

  6.  Le Palais des Beaux Arts 1864 1874

 

Deux citations

" le choix du site de la Basilique de Marseille sa construction est le fait d'un grand constructeur dont je m'étonne que la Ville de Marseille n'ait pas su recueillir l'héritage malgré les polémiques qui se sont déchaînés lors de son édification " Le Corbusier.

" Espérandieu pour Marseille a été une chance urbanistique unique et je ne donnerai comme réussite totale l'idée de d'ouvrir la voie reliant le Vieux Port au Nouveau Port c a d la Rue de la République " Fernand Pouillon.


Une jeunesse studieuseRetour haut de page

    Jacques Henri Espérandieu est né à Nîmes le 20 septembre 1829 de parents inconnus. C'est un "enfant déposé", il est recueilli et adopté par une riche famille de minotiers nîmois d'origine protestante, la famille Carrière.

    ll étudie a Nîmes et se fait remarquer dés l'age de 8 ans pour ses dons de dessinateur. Il passe le plus clair de sa petite enfance a peindre et à dessiner et son père Auguste Abraham Carrière organise à la maison de la Communauté de l'Eglise Réformée de Nîmes une exposition de ses tableaux que l'enfant signe du double nom " Carrière Espérandieu ".

    A 13 ans il est frappé d'une maladie qui le poursuivra toute sa vie et que l'on ne savait pas guérir sans l'insuline à l'époque : le diabète.

Il est sujet a de fréquents évanouissements et toute sa jeunesse sera marquée par de crises " nerveuses " comme on disait à l'époque.

    Sur les conseils de son professeur de dessin Antoine LEVERRIER-PALOIS il dessine les principaux monuments romains de la Provence : Maison Carrée, Arènes d'Arles, Théâtre d'Orange, Pont du Gard. Nombreux voyage en calèche ou le jeune enfant découvre émerveillé une Provence traditionnelle et digne de Giono.

    Il fait son premier voyage à Marseille ou son père expose ses œuvres au temple protestant. C'est la grande période de la bourgeoisie commerçante protestante de Marseille.

    Le 23 juillet 1841 lors d'une soirée sous les treilles de la villa Fabret (à la Plaine) il obtient de trois riches marchands protestants la promesse d'une bourse de soutien pour étudier la peinture à Paris.

    A 14 ans il revient à Marseille chez une cousine des Carrière Augustine Pichon qui se prend d'amitié pour ce jeune homme brillant. Il écrira " Marseille m'a touché au cœur combien j'aimerai y vivre…. "

Malgré la différence d'age une idylle naîtra entre le jeune artiste et Augustine qui servira de modèle a Espérandieu. Peut être pour échapper au quant dira t'on les deux jeunes gens envisagent un voyage à Paris.

    Le voyage à Paris est une véritable expédition . A Lyon la diligence est bloquée dix jours par la énième révoltes des Canuts…  A Paris on perd la trace d'Augustine. Jean Henri logera rue de Valois prés du Louvre qu'il fréquente tous les jours. Peut être vit il avec sa cousine… Il réussit brillamment le concours d'entrée à l'école des Beaux Arts de Paris (l'Académie royale des belles arts et techniques).

    A 16 ans il rencontre, un soir a la " salle des italiens " Pierre MENARD qui devient son ami. Ce garçon plus âgé que lui de 8 ans nous a laissé une correspondance de cette amitié brûlante et chaleureuse. C'est lui, étudiant en architecture qui va initier ESPERANDIEU à l'art de construire. Pierre Menard écrivait aussi de articles dans la revue d'Architecture et de Travaux Publics.

    A 17 ans il s'inscrit sur recommandation de Pierre Menard à l'Ecole d'Architecture de Paris. Il y restera 3 ans de 1846 à 1851. Période agitée à Paris. ESPERANDIEU participe a un comité d'étude sur la reconstruction.

Politiquement modéré, il jette un œil critique sur les mouvements de rue et la révolution de 1848. C'est plutôt un homme d'ordre. "Mon idéal c'est la principauté italienne ou flamande de la Renaissance ou un groupe éclairé jette de la beauté dans les rues".

    Fin 1851, il fréquente les ateliers/bureaux de Leon VAUDOYER. Il rencontre Bartholdy. Avec Bartholdy et Pierre Menard il part en voyage en Orient, en Algérie notamment qu'il décrit comme "un prolongement naturel de la terre française au delà du grand lac". Il visite aussi la Serbie, la Grèce et la Turquie, en particulier à Istanbul. Il découvre Venise et Ravenne. Avec ses amis il reste deux mois à Ravenne pour étudier les constructions byzantines. Il écrit dans son carnet de voyage "Ravenne est la plus belle ville que je connaisse ! Enfin l'architecture y devient lumière concert de couleurs et de jaillissements de formes. Byzance ! San Vitale ! Justinien Theodora, celui qui vous aime connaît la gloire du beau construire !".

    De retour à Paris c'est le Second Empire. ESPERANDIEU se rallie sans complexe au nouveau régime. Il est petit, rondouillard, de santé fragile, souffre de vertiges et de maux de têtes mais il a beaucoup de charme lorsqu'il évoque les grands constructeurs. Il a une très jolie voix. Se lie d'amitié avec de jeunes compositeurs notamment Gounod et Saint Saens.

    Parenthèse sur la situation de l'architecture en France au XIX° siècle. Période de richesse, d'expansion coloniale, de découvertes du monde, de technologies nouvelles, apparition des grues pivotantes, du mortier ciment, du béton armé vibré, des échafaudages accrochés, des grandes études de Schwarzfiel sur la résistance des matériaux. Bref, une époque nouvelle pour la construction.

    Après le diplôme impérial d'architecture obtenu après six ans d'étude et la constitution d'un projet, Jaques Henri ESPERANDIEU cherche à entrer dans un atelier privé ou a obtenir des commandes personnelles. Pour un jeune architecte de 28 ans c'est difficile.

Pendant 2 ans il fréquente les plus grands noms parisiens LABROUSTE VAUDOYER, CHARLES GARNIER , PERIGAULT.

    Il cherche des commandes et un style. Période de doute au cours de laquelle il envisage même d'abandonner l'art au profit du commerce (il construit une ferme expérimentale pour élever les pigeons voyageurs).

    En 1855, on l'informe sur la maladie de son père adoptif qui meurt deux mois plus tard à l'hôpital de Nîmes. ESPERANDIEU revient à Nîmes pour les funérailles d'Auguste Abraham. C'est à cette occasion qu'il obtient sa première commande : le temple protestant nouveau. Il est inauguré en 1860. Œuvre puissante et légère lumineuse.


La construction de la Major 1857Retour haut de page

    Entre temps il obtient de Leon Vaudoyer la charge de veiller à la construction de la Grande Cathédrale de la Major (la plus vaste de France) dont il dessine la façade ouest en style romano byzantin.

L'inauguration en 1856 est un succès personnel pour Espérandieu qui est choisi comme second architecte de la ville de Marseille, André Martin et Vaudoyer étant les premiers. Il dessine énormément de plans. Participe à la reconstruction de l'opéra d'Oran et d'Istanbul.

Mais sa passion reste Marseille. " La ville aux mille parfums ".

    A cette époque Marseille est en pleine expansion. La ville augmente, le commerce est au beau fixe, la navigation est en pleine expansion ,on construit un deuxième puis un troisième port. Le Second Empire apporte beaucoup à la cité phocéenne. Les projets architecturaux sont importants les commandes pleuvent dans le bureau atelier d'Espérandieu installé sur le vieux port à l'angle de la rue Beauvau. Des architectes parisiens viennent travailler à Marseille :  Le FUEL (un de architectes du Louvre) qui construit le splendide Palais du Pharo et surtout Jean Charles DANJOY spécialiste des maisons particulières des riches marchands Le Château PASTRE achevé en 1862.


Le Palais Longchamp 1862 1869Retour haut de page

    Dans les années soixante, Espérandieu se fait apprécier pour ses projets hardis. Trois chantiers simultanés. Une de ses plus belles réalisations est le Palais Longchamp terminal du Canal de Marseille qui rejoint Marseille en 1839 Il mettra un an pour faire les plans (deux tomes de 125 pages) puis c'est l'épisode célèbre de la brouille et du procès avec Bartholdy (plans légèrement semblables) qu'Espérandieu gagnera. Puis quatre ans de travaux et inauguration avec orchestre et grands feux d'artifices le 14 août 1869. Style original c'est déjà du grand Espérandieu à la fois fonctionnel (Musée des Beaux arts et Muséums d'Histoire Naturelle) et grandiose sans ostentation à la mesure de la fierté de la ville qui reçoit tous les produits du monde et dont la richesse va redoubler après l'ouverture du Canal de Suez. Hommage à l'eau et à la lumière du midi. C'est le deuxième bâtiment de France à utiliser le système dit du mortier caché par rivets internes en acier.


La Basilique Notre Dame de la Garde 1864Retour haut de page

    C'est le second chef d'œuvre d'Espérandieu dont il dessine les plans dés 1855 lors de son troisième séjour à Marseille. C'est lui qui propose aux autorités municipales et religieuses de l'époque cette grande basilique. Il en a conçu l'idée et choisi l'emplacement à la place de la vieille chapelle datant de François Ier qui tombait en ruine. (il entretien une correspondance importante avec Monseigneur Mazenod) Mais il ne se met pas en avant sans doute à cause de ses origines protestantes de son appartenance au Phalanstère et sans doute aussi à cause de son mode de vie (célibataire farouche). Dans un premier temps Léon Vaudoyer assiste au conseil d'administration du sanctuaire le 30 décembre 1852 par la suite c'est l'architecte délégué contrôleur de travaux c'est a dire Espérandieu qui règle tout, y compris les émoluments 5% du devis initial qu'Espérandieu touchera entièrement.

    Un point de vue exceptionnel. Un point de mire qui rassure les marins abordant Marseille. Sans le savoir vraiment Espérandieu va construire l'un des monuments les plus célèbres du monde. Le 20° en renommée internationale d'après le London architectural book. C'est ce que l'on appelle en architecture une construction Polis éponyme (qui marque une ville). C'est le monument symbole de Marseille.

    La construction durera 5 ans sous la surveillance d'Espérandieu avec trois maîtres maçons Pierraille, Fournier et Fouque.170 000 tonnes de matériaux, vingt trois cargaisons de marbres et de porphyre venus d'Italie mais aussi hélas vingt cinq accidents dont sept mortels. 453 ouvriers travailleront en permanence sur ce chantier un de plus importants de la France du XIX° siècle. Cinq percements de rues d'accès pour monter les matériaux. Espérandieu a signé cette œuvre au sol, près du troisième piller central de la nef un E et un D entrecroisement dalle a malheureusement été volé au début du siècle.

    Les notes et les plans de la basilique ont été en partie détruits lors de l'incendie interne des archives (fond de constructions B6 ) en 1903.

La consécration du bâtiment religieux a eu lieu en 1864 avec les plus grands autorités religieuses du moment (renouveau du culte marial). Inspiration orientale mauresque byzantine la tour en façade peut faire penser selon le théoricien de l'architecture Alex Copudoy a un minaret…. Style généreux et syncrétiste. Très vite les marseillais vont adopter ce monument " la bonne mère "


Espérandieu Metteur en scène 1867Retour haut de page

    En Avril 1867 a Marseille a lieu une représentation théâtrale musicale et chorale en faveur de insurgés crétois contre la Turquie. Mistral compose les Enfants d'Orphée mis en musique par Jules Cohen La mise en scène de la soirée est assurée par Espérandieu. Compte rendu dans le " Petit Marseillais "

L'architecte conservera sur lui ces vers :

Afeciounado e galoio Marsiho

Qu'au grand souleu travaio, iver estieu

Ten a la bouco uno flour de cacio

E noun plego lo ciho

Que davans lou trelus de la Maire de Dieu.

De nosti paire canten la glori

Que dins l'istori

An fan soun trau

Et que de longo,nous dien li libre

Soun resta libre

Coume la mar e lou mistrau.

    Ardente et joyeuse Marseille qui travaille au grand soleil, hiver comme été tient à la bouche une fleur d'acacia et ne ferme les cils que devant la splendeur de la Mère de Dieu. Chantons la gloire de nos père qui dans l'histoire ont fait leur trou et qui toujours nous disent les livres sont restés libres comme la mer et le Mistral.


Le Palais des Beaux Arts 1864 1874Retour haut de page

    Cette œuvre fut la dernière grande construction d'Espérandieu déjà malade et dépressif. Il fait de nombreux séjours en Italie à Abano notamment près de Venise dont il dessine les plans du nouvel établissement thermal. Cette construction commandée par la municipalité devait accueillir les Beaux arts puis le Conservatoire de Marseille ainsi que la grande Bibliothèque Municipale. La façade est magnifique d'équilibre c'est un style pur sans charge avec des salles aux plafonds hauts éclairées par des larges fenêtres. A noter aussi l'utilisation systématique pour la première fois de poutrelles de bétons cachées dans l'édifice.

    A la fin des travaux en 1873 Espérandieu a une grave crise de diabète. Il est pratiquement aveugle.

    Le 20 juillet 1873 il se fait transporter sur l'esplanade de Notre Dame de la Garde ou il passe de longues soirées à regarder Marseille. Son serviteur fidèle, un jeune nîmois s'occupe avec ferveur des derniers mois de la vie d'Espérandieu. Le diabète et ses complications va l'emporter. Il meurt à l'Hôpital Nouveau de Marseille comme Rimbaud à la suite d'une amputation. Il écrit dans les dernières pages de son carnet de correspondance " presque aveugle maintenant sans ma jambe gauche comment pourrais je remonter vers ma basilique ". Il meurt le 10 juillet 1874 entouré de quelques amis dont le maître maçon Fouque et André Martin architecte de la ville qui a construit la belle Préfecture commande du Préfet De Maupas.

    André Martin nous a laissé un petit opuscule émouvant "ma rencontre avec Espérandieu". Le pasteur Morand l'accompagna dans son agonie. "Un exemple de courage face à la solitude et la mort". Entouré de ses chats il passait de longues heures au balcon de son bureau face au Lacydon.

    Deux mois avant sa mort il fit son testament et légua toute sa fortune a une œuvre caritative "la maison de repos des anciens ouvriers indigents du bâtiment" qu'il avait fait construire à ses frais au bord de la Corniche sur les hauteurs du Roucas Blanc et qui disparu faute de fonds en 1937 à la veille de la guerre. L'édifice appelée par les riverains "la maison Espérandieu" fut détruit en 1942.

    Ses obsèques "une foule océanique" font "la une" du journal "le Petit Marseillais". Elles sont grandioses et émouvante. Une procession spéciale a lieu à Notre Dame de la Garde avec en tête tous les corps du bâtiment de la ville et les cloches de Marseille se sont toutes mises a sonner à 11 du matin. "Les bateaux firent retentir leurs sirènes pour accompagner a sa dernière demeure le grand nîmois don le nom déjà était un symbole de piété" a écrit le chroniqueur.

    Malheureusement l'oubli va envelopper Espérandieu. Aucune biographie aucune étude sérieuses jusqu'à la fin du XX° siècle. La Basilique connaîtra une vingtaine d'ouvrages mais tous sont d'essence et d'inspiration religieuses : ils ne font qu'une petite part au génial architecte. A noter l'exception de l'ouvrage de Françoise Hildesheimer. Les processions se succéderont mais rien ne signalera aux marseillais l'œuvre d'Espérandieu. Une plaque posée par les amis du Vieux Marseille serait la bien venue a l'entrée de la Basilique ou du Palais Longchamp.

    Il n'y a pas de plaque commémorative à la Timone. Il est d'abord enterré au cimetière central de Marseille dans une tombe modeste que personne ne viendra fleurir. En 1913 à la veille de la guerre, la famille Carrière fait revenir les cendres du grand architecte nîmois dans sa ville natale où il repose, semble t il, dans un caveau du cimetière réformé près d'Augustine l'amour de sa jeunesse.

La Municipalité de Marseille a fait cependant édifier une belle statue Place Carli où l'on remarque toute la fierté du grand architecte.


A lire :     Henry Espérandieu, la truelle et la Lyre, de Denise Jasmin. Editions Actes sud/Maupetit, 2003